Après le Joueur d’échecs de Stefan Zweig et La joueuse d’échecs de Bertina Henrichs, c’est au tour de Robert Belfiore d’enfanter La petite joueuse d’échecs, roman de science-fiction édité en 2002 par Biblio Mango.
En effet, Quelle ne fut pas ma surprise lorsque vinrent briller au milieu de la liste de référence des ouvrages de littérature de jeunesse pour le cycle 3, les mots « joueuse d’échecs ». Les romans d’échecs ne courent ni les rues, ni les ESPE.
Plus jeune que Hou Yifan quand elle devînt championne du monde féminine à 16 ans, plus douée que les sœurs Polgar à 14 ans, coachées par leur papa László, la Petite joueuse d’échecs (Gwendolyn pour ne pas la citer) est l’avatar du génie inné : Gwendolyn est un jeune androïde de 2700 élo élaboré par l’agence de l’AndroIdéal.
Le roman présente d’abord Octavio, un homme riche, puissant et laid (au sens propre comme au figuré) habitant une maison bardée de capteurs et logiciels de domotique. Octavio a soixante-cinq ans, soit le nombre de cases d’un échiquier… plus une (serait-ce la case qui fait déborder la vase ?). Lorsqu’il s’ennuie, Octavio joue aux échecs, non contre un humain, mais contre la grande et belle, Dora Sublémy, un androïde classé 2400 élo et doté d’une sensibilité artistique. Octavio bat Dora régulièrement, il apprécie son élégance vestimentaire, sa sensualité et son indicible beauté. Mais un jour, Dora est remplacée par la jeune Gwendolyn de 14 ans, un autre androïde plus puissant, mais plus impertinent, moins féminin et complètement béotien dans le domaine de l’art. Ce dernier joue un match contre Octavio en 7 parties semi-rapides. Ils sont à égalité et jouent la partie de départage. Malheureusement, Octavio surprend Gwen en train de tricher et (alerte spoil) la tue d’un coup de révolver (Octavio possède un Colt depuis qu’il est bébé avec une fonction de mise à mort lorsque le code à 7 chiffres est composé).
C’est alors que la maison, comme meurtrie et révoltée en son for intérieur se retourne contre son propriétaire. Les volets électriques se baissent, la tonalité du téléphone et les liaisons satellites se coupent (ne coupe-t-on pas les portables lors des compétitions échiquéennes ?), Octavio est plus esseulé que jamais et va affronter un adversaire invisible. Des bruits discrets se font entendre puis des gémissements étouffés, les tableaux virtuels d’Octavio se mettent à pleurer du sang, un lourd fauteuil en cuir se sépare de la paroi et vient le percuter violemment. La douleur est à son paroxysme, mais Octavio veut vivre ! Ce dernier atteint un sol dallé noir et blanc, suant d’ahan. Octavio rampe sur l’échiquier de sa vie, il a le trait et s’apprête à jouer un match d’échecs en une partie. chaque centimètre gagné l’éloigne de la défaite, il s’agit de gagner de l’espace, mais le monarque est seul, sans pièces à développer. En Roi rudoyé et révolu, il glisse d’une case blanche à une noire, plein d’espoir. La maison veut le tuer, mais Octavio espère annuler une finale perdante. La maison hurle et le coeur d’Octavio s’emballe : Une tondeuse autoportée se met en marche en sifflant. En pièce lourde roulant au ralenti sur le sol dallé, la tondeuse se place dans l’alignement de sa proie tel un astronef de chasse. S’il s’agissait d’une pièce, ce serait la Tour. Octavio est mis en échec. D’ailleurs, le mat des deux Tours (mat de l’escalier) en anglais est nommé poétiquement Lawn mower mate, littéralement, « mat de la tondeuse à gazon ».
Soudain, revirement de situation ! Gwendolyn, en parfaite Deus ex Machina, surgit de nulle part, saute sur la tondeuse et l’éteint. L’androïde est de retour pour aider son bourreau. Octavio, qui depuis le début affrontait en vain des machines, va se faire aider par l’une d’elles. L’homme est faillible, il ne peut lutter contre un ordinateur classé 2700 et + . Bien que ces derniers puissent biaiser leur niveau et s’adapter au jeu humain (en laissant du matériel au joueur humain ou en trichant comme l’a fait Gwendolyn dans l’histoire). Petit rappel historique, en 1998, Kasparov est avalé par Deep Blue. Depuis, les monstres de silicium n’ont cessé de croître, marchant sur la voie de la perfection.
Ainsi, pourquoi affronter la machine si les meilleurs joueurs humains ne peuvent espérer qu’une partie nulle face à ces monstres ?
C’est là qu’interviennent, l’advanced Chess, l’analyse post-mortem des parties ainsi que les home-preparations assistées par ordinateur. L’intérêt d’un engine, n’apparaît pas dans la confrontation vaine avec celui-ci, mais dans l’aide tactique qu’il peut apporter. La Petite Joueuse d’échecs illustre l’intérêt et l’efficacité de la capacité de calcul apportés par la machine au service de la stratégie humaine. « L’androïde et le vivant », « la victime et l’assassin ». Bien que la machine apparaisse dans l’oeuvre de Robert Belfiore, plus humaine que ce bipède d’Octavio, ce dernier en ressortira grandi et meilleur.
Enfin, puisqu’il s’agit d’une œuvre de littérature de jeunesse, je rajouterai pour les plus jeunes qui crapahutent sur la voie inexpugnable de la perfection :
Il n’y a pas de défaite, soit tu gagnes, soit tu apprends.
Jérôme