
Les Lyonnais ont pu, ce weekend et jusqu’au 18 octobre observer à travers une vitrine, deux bras articulés (des robots) jouer aux échecs. Cette œuvre, appelée « Power Chess » naît de l’artiste français MoBen (Maurice Benayoun). Power Chess a été exposée à la Boutique du Son (dans le 2e). Une boutique spécialiste Focal & Naim audio, les 2 partenaires de l’œuvre.
Pourquoi des partenaires spécialisés dans les systèmes audio haute-fidélité ? Car des effets sonores ont été intégrés afin d’immerger le spectateur dans une lutte de pouvoir entre deux bras mécaniques.
Depuis longtemps, les monstres de Silicium assassinent des grands maîtres :
- En 1997, Kasparov se couche devant DeepBlue.
- Plus tard, celui qu’on appelle le Terminator des échecs, le robot russe Chesska (créé par Konstantin Kosteniuk, le père de Kosteniuk) s’est imposé comme le premier robot à terrasser des Grands maîtres en blitz.
- En 2012, KUKA Monstr violente Grischuk dans un blitz (d’échauffement avant un match contre Chesska) en 6 parties. Résultat : 4.5 pour Kuka contre 1.5 pour Grishuk. Ca pique.
Mais les robots ne s’abreuvent pas seulement de sang humain. Ils se tapent également dessus. Appréciez cette partie entre Kuka (en rouge) et le Terminator Chesska (en blanc)
Ainsi, lorsque j’ai appris qu’une confrontation de robots se déroulait à Lyon dans le cadre d’une exposition : « Power Chess », j’ai exulté !
Je me rends donc sur Lyon 2, accompagné d’un camaradovitch pousseur de bois (David, qui a pris les photos et que je remercie). Nous marchons jusqu’à La Boutique (derrière la place des Jacobins). Arrivé au 4 Rue de l’Ancienne Préfecture nous apercevons deux bras robotiques ainsi qu’un échiquier :

La pendule est lancée, mais les robots sont immobiles, les pièces n’ont également pas bougé. Etrange.

La machine a-t-elle encore frappé ?
La boutique est fermée, mais les clés sont à l’intérieur et la lumière trahit une présence humaine. Je suis tout de même inquiet, verrons-nous les robots jouer ? La machine a-t-elle tué Quentin Morieux, le gérant du magasin ?
Je sonne. Quentin descend les escaliers (il est en vie, ouf) téléphone collé à l’oreille, il semble surmené. Quentin nous ouvre la porte et nous invite à rentrer. Apprécions les robots sans le reflet de la vitrine :

Notons que de l’intérieur, le spectateur ne peut apercevoir le cadran de la pendule qui est tournée face à la rue.

Bug dans la Matrice — Entretien avec Quentin Morieux
David et moi-même nous présentons. Nous demandons ensuite à Quentin s’il est possible de voir les robots s’animer. Voici la reconstitution de mémoire et tout à fait approximative (sans aucune rigueur journalistique) de l’échange que nous avons eu.
P2b (Pousseur de bois) : Les robots s’animent-ils ? Pouvons-nous assister à une démo ?
Q (Quentin) : Malheureusement, les robots sont défectueux. Ils ont fonctionné tout samedi. Les gens étaient comme hypnotisés par leur gestuelle et les sons associés. Toutefois, les robots se heurtaient et peinaient à attraper les pièces. Leurs pinces saisissaient les pièces de travers ou les manquaient tout simplement. Puis l’un des robots, celui qui est censé attaquer a cessé simplement de fonctionner. Peut-être à cause des chocs qu’il a reçus de l’autre robot. Ils se heurtaient souvent. Voyez l’écorchure sur le sommet du robot gauche :

P2b : Bizarre qu’il y ait des disfonctionnements. Si l’un des deux robots a cessé de fonctionner, c’est peut-être lié à une erreur de position des pièces. Le Robot qui attaque doit posséder les pièces blanches j’imagine. Mais les pièces sont toutefois bien positionnées. L’un des capteurs visuels des robots a peut-être pris un choc et ce dernier ne peut plus voir les pièces ? Il y a peut-être une lentille brisée. Les Robots font le tour du monde, dans quelle ville étaient-ils avant d’arriver à Lyon ?
Q : Oui, les robots étaient à Paris et normalement, demain, je les envoie à Berlin. Je me suis demandé si les pièces étaient à leur place en effet, le sont-elles ?
David : Oui, les Dames sont sur leurs couleurs respectives. Dame blanche sur case blanche, Dame noire sur case noire.
Q : Pour répondre à votre question, je pense que les machines ne « voient » pas, mais qu’elles fonctionnent grâce à un système de mapping leur permettant de connaître la position des pièces sur l’échiquier.
NdR : Cela soulève des questions intéressantes, je n’y connais pas grand chose en robotique et robots d’échecs. Aussi, alertés par notre présence des personnes entrent dans la boutique intriguées par le robot.
P2b : J’imagine qu’il y avait des sons associés à chaque action. Aux captures, aux échecs et mats, j’aurais apprécié assister à une démonstration, quel dommage. Aussi, j’ai lu que l’un des deux robots étaient plus fort que l’autre, avez-vous des informations concernant la démarche de l’auteur et le style des robots ?
Q : Oui, l’un des robots est censé attaquer et l’autre défendre. Leurs niveaux diffèrent également afin que les parties ne durent pas trop longtemps. Aussi, je crois que MoBen — Il s’agit de son nom d’artiste, son nom étant Maurice Benayoun — a inversé volontairement les fonctions du Roi de de la Reine (NdR : Oui, Quentin nomme la Dame, la Reine).
P2b : Vous voulez dire que le Roi se déplace comme sa Dame et inversement ? Faut-il mater la Dame ?
Q : Oui, il me semble que l’auteur de l’œuvre a volontairement modifié la marche des pièces.
David : Je vois que vous êtes surmené (NdlR : Quentin invitait les personnes qui sont entrées à visiter le magasin), nous vous remercions pour le temps accordé.
Quentin nous remercie et David et moi-même quittons l’endroit après avoir été autorisés à prendre quelques photos. L’œuvre sera expédiée le lendemain pour être exposée à Berlin.
Des enjeux de pouvoir étranges
Cette histoire d’inversion des rôles entre le monarque et sa Dame me laisse perplexe. Quentin a-t-il bien compris ? N’étant pas joueur d’échecs il a pu passer (complètement) à côté de l’explication. En effet, inverser les rôles des pièces d’échecs me paraît douteux comme choix artistique.
Par contre, brider la puissance d’un des deux robots est une démarche beaucoup plus intéressante. Cela permet d’illustrer en boucle la domination perpétuelle d’un être sur l’autre.
Malheureusement, cette expo Power Chess s’est terminée en « Power Off ». Quentin Morieux a-t-il voulu jouer à la place d’un des deux robots pour se mesurer à la machine ? A-t-il tout cassé ? Auquel cas, bravo à lui, il a réussi là où Grischuk et Kasparov ont échoué, c’est une victoire par KO ;)
Pour aller plus loin :
Pour le plaisir des yeux et parce que cette visite nous a laissé sur notre faim, voici un aperçu de l’œuvre « fonctionnelle ». Vidéo de démonstration mise en ligne par l’auteur MoBen lui-même :
Dans cette vidéo les pinces semblent être aimantées. La musique en background génère un effet cinématographique entraînant. La haute résolution de la vidéo vous permet d’ailleurs d’apprécier davantage les pièces. Je suis également pantois devant les mouvements des robots qui ressemblent à deux marionnettes ou deux serpents animés. Quand ils n’ont pas le trait, ils ne sont pas immobiles, mais oscillent ou « dansent » comme s’ils respiraient. L’expression « faciale » même des robots en début de vidéo rappelle celle d’un animal (je pense au chien) lorsque les robots (qui ont des yeux) penchent leurs têtes sur le côté. Je pourrais les observer inlassablement.
Et voici un épisode documentaire trouvé sur la chaîne de Focal :
Fight is always more interesting than peace. You don’t make a good move with peace.
Maurice Benayoun (MoBen)
La guerre est toujours plus intéressante que la paix. On ne tire pas de scénarios haletants de la paix.
Cette œuvre envoie du lourd, il est navrant qu’elle n’ait pas fonctionné à Lyon. Espérons qu’elle soit vite réparée et que les Berlinois aient plus de chance que nous !
Article rédigé le 19/10/2021
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